6 mars 2009
SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SE.FA.FI
Observatoire de la Vie Publique
Immeuble Ramaholimihaso
Rue Rajakoba xxxxx (Ankadivato) Antananarivo
Tél. : 22 663 99 Fax : 22 663 59 Email :mrcabram@wanadoo.mg
LA FORCE NE RÉSOUT PAS LES PROBLÈMES
Interpellation
Voilà près de deux mois qu’une partie la population malgache manifeste de manière pacifique contre ses dirigeants. D’abord limitée à la capitale Antananarivo, la fronde s’étend aujourd’hui à l’ensemble de l’Île. Cette
extension du mouvement montre que le problème est national : il devra donc être traité à l’échelle de la nation.
L’une des raisons du blocage vient de ce que le pouvoir refuse de donner à la population les informations qu’elle est en droit de connaître pour se faire une idée objective de la situation. L’incendie de la station MBS, au premier jour des affrontements, est symptomatique du refus d’être manipulé par une information censurée. En 2002, le candidat Marc Ravalomanana avait protesté parce qu’il n’avait accès ni à la RNM, ni à la TVM ; aujourd’hui, c’est lui qui interdit l’accès des opposants aux média publics, et la couverture nationale aux chaînes privées. La fermeture de la télévision Viva en décembre dernier avait été le déclencheur de la crise ; à présent, les émissions de radio Antsiva, de radio Viva et de TVPlus sont brouillées. Cette question ne pourra être résolue tant que toutes les sensibilités et toutes les opinions de la société n’auront pas un accès libre et impartial aux médias publics : c’est là un droit imprescriptible de tous citoyens, dans tous les pays. L’article 10 de la Constitution malgache pose les principes des libertés d’opinion et d’expression, de communication et de presse. L’article 11 de la Loi fondamentale réaffirme que « tout individu à
droit à l’information. L’information sous toutes ses formes n’est soumise à aucune contrainte préalable ». Le SeFaFi exige donc, dès à présent, l’accès libre de tous à tous les médias publics et privés. Le président de la République, étant chargé de veiller au respect de la Constitution, a le devoir de protéger les droits individuels et les libertés fondamentales.
Mais si la crise dure et se radicalise davantage chaque jour, c’est aussi et surtout une absence de volonté de trouver une solution négociée à la crise actuelle. Le FFKM (Conseil chrétien des églises de Madagascar) et la communauté internationale, et en particulier les Nations unies, qui jouent les bons offices, se doivent d’être fermes face aux manquements à la négociation. D’autre part, le recours à la force n’a jamais été une solution pour résoudre une crise politique. Cette politique ne peut qu’aboutir aux massacres dont notre pays est malheureusement devenu coutumier, et dont celui du 7 février 2009 est la dernière illustration, sans parler des morts au cours des manifestations
dans les différentes régions du pays. Elle porte en elle-même les germes de son échec, car si l’usage de la force impose la soumission extérieure, il entretient en même temps la résistance des esprits et des cœurs. Et l’histoire montre que le peuple malgache sait faire preuve de la constance et de l’obstination voulues pour que lui soient reconnus les droits
légitimes dont il s’estime dépossédé.
Devant l’impasse dans laquelle se trouve le pays, et en raison de l’urgence d’une solution qui exclut tout recours à la violence, le SeFaFi s’autorise alors à interpeller les principaux acteurs de cette crise. Aux chefs militaires, nous redisons ce que leur avait enjoint le Collectif des citoyens et des organisations citoyennes, le 2 mars dernier : « face aux pressions politiques diverses que subissent les forces [de l’ordre], il convient de rappeler que, dans l’accomplissement de leurs missions, elles doivent également veiller à l’exercice de la justice et à la protection du
droit à la vie ». Au cours des différentes crises politiques qui ont secoué Madagascar depuis l’indépendance, les forces armées ont toujours été le dernier recours avec les Eglises. L’armée nationale, la gendarmerie nationale et la police nationale sont les symboles de la souveraineté nationale. L’existence de milices privées et la présence de mercenaires
étrangers constituent une atteinte grave à cette souveraineté et une offense à l’honneur des forces armées.
Au chef suprême des armées, le président Marc Ravalomanana, nous rappelons que les citoyens jouissent du droit de réunion et de manifestation. Le non respect de ces droits est inconciliable avec l’ordre public, et le recours à
la force, et surtout celle des armes, est un comportement anti-démocratique. Les plaintes et revendications émises par les manifestants sont graves : elles doivent être prises en compte et mener, le cas échant, à de solutions
exceptionnelles.
Aux Eglises, nous demandons d’exercer leur rôle de médiation comme un ministère évangélique. Ce faisant, qu’elles restent fidèles à leur mission religieuse et soient guidées par la justice et la vérité, sans lesquelles il n’est pas de réconciliation. Il serait inconcevable que des responsables d’Eglises agissent par ambition politique, par amour de l’argent ou par goût des honneurs.
A tous les responsables du régime, et en particulier les ministres et les parlementaires, nous rappelons les exigences morales de leur engagement. Prendre une responsabilité politique, c’est rechercher le bien de la population et œuvrer pour l’intérêt général, et non pas ses avantages personnels ; c’est se mettre au service de l’intérêt général du pays, et non pas de certains intérêts particuliers. C’est aussi accepter de remettre en question sa légitimité d’élu ou de décideur, si la population manifeste ouvertement son désaccord avec la manière dont le pays est géré.
Aux représentants de la « communauté internationale », enfin, le SeFaFi rappelle que la légalité constitutionnelle aurait du être invoquée (et ses manquements dénoncés) à tout moment, et pas seulement par ces temps de
crise. Il en va de même pour la bonne gestion de l’argent public et du bon usage de l’aide étrangère. Car une légalité sans adhésion populaire est souvent le paravent de dictatures qui ne disent pas leur nom, surtout lorsque les élections conformes à la légalité ne permettent pas l’alternance démocratique. Et de bonnes négociations peuvent aboutir à des changements constitutionnels considérables, comme ce fut le cas en 1972 et en 1991…
Le SeFaFi tient également à rappeler à la communauté internationale que la légalité constitutionnelle ne se limite pas au simple respect des institutions démocratiquement élues. Elle comprend également les droits fondamentaux et libertés publiques dont les individus peuvent se prévaloir devant les gouvernants, notamment ceux des articles 10 et 11 de la Constitution précités ainsi que les principes posés par le préambule de la Loi fondamentale.
Le Préambule de la Constitution malgache fait expressément référence à la Charte Internationale des Droits de l’homme, qui comprend la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il appartient à la communauté internationale de faire respecter notamment l’article 19 de la Déclaration : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit » et l’article 20.1 : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».
Le SeFaFi interpelle l’Union africaine qu’elle a le devoir de faire respecter la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples, et en particulier les dispositions suivantes :
Article 4 : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. »
Article 6 : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi, en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement ».
Article 9 : « 1. Toute personne a droit à l’information 2. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
Le respect de la légalité constitutionnelle ne peut être partiel et partial.
Aux Eglises et à la communauté internationale, nous demandons de passer du stade des bons offices à celui d’une vraie médiation. Les bons offices et la médiation sont constitués par l’entremise d’un tiers dont le concours a pour
objet de faciliter un accord entre les parties à un différend. Les bons offices excluent toute solution proposée par un tiers : ils se bornent à susciter les négociations et à rapprocher les parties. Le médiateur, par contre, est habilité à proposer des solutions. Le désastre économique et la destruction du tissu social, conséquences directes de la crise politique actuelle, exigent que soit désormais pratiquée une vraie médiation.